Pour une mise à jour du récit européen
Stephen Tindale, membre du Centre for European Reform basé à Londres, un think tank pro-européen mais critique, donne des pistes pour redonner du souffle au projet européen, miné par la crise et la perte de confiance
Le projet européen connaît de sérieuses difficultés tant sur le plan économique que politique. L’Union européenne n’a pas provoqué la récession globale – bien que son incapacité à réguler les banques y ait contribué – mais le ralentissement économique a poussé de plus en plus de gens à s’interroger sur le concept d’intégration. Son incapacité à réagir suite à l’annexion de la Crimée, région d’un pays voisin de l’UE, et sa faible réponse face à la déstabilisation de Moscou dans l’est de l’Ukraine ont affaibli l’idée que l’Europe puisse être un acteur significatif sur l’échiquier du monde. Ces facteurs vont sans doute conduire à une augmentation substantielle de parlementaires anti-européens aux prochaines élections.
L’Union européenne est loin d’être parfaite. La politique agricole commune (PAC) est un vaste gaspillage d’argent public qui détruit la nature et les paysages. Les disputes entre institutions concurrentes engendrent des pertes de temps. De nouvelles lois sont édictées par un corps non élu, la Commission européenne. Autant de raisons qui plaident fortement en faveur d’une réforme. C’est pourquoi je travaille au Centre for European Reform (CER). Nous sommes pro-européens mais nous n’hésitons pas à nous montrer critiques quand l’UE fait un faux pas. Et, basés à Londres, nous sommes bien conscients de la vague anti-européenne qui déferle sur une bonne partie des médias et influence de nombreux politiciens.
Que faire, alors? L’Europe a besoin d’une nouvelle mise en récit d’elle-même. Un récit qui doit être optimiste – pas juste de grands feux d’alerte disant combien ce serait terrible si l’Union éclatait (même si ce serait bel et bien terrible). Ce récit européen doit aborder les grands thèmes du XXIe siècle. Il n’a pas besoin de rompre avec l’ancien récit fondateur, qui a encore tout son sens. Mais une mise à jour est nécessaire. L’intégration européenne a débuté dans les années 1950 avec des accords sur l’économie et l’énergie. A l’époque, on n’avait pas besoin de mentionner la nécessité de la paix; après les deux guerres mondiales qui avaient commencé en Europe, c’était inutile de le préciser, mais c’était bien cela le moteur sous-jacent. Le nouveau récit européen doit donc comporter ces trois aspects: économie, énergie et paix.
Concernant l’économie, l’Europe doit achever le marché unique, en particulier dans les services. Mais comme Jacques Delors le reconnaissait piteusement quand il était président de la Commission, «on ne tombe pas amoureux du marché unique». Ainsi, le récit européen devra mettre l’accent sur les emplois découlant d’un marché plus intégré. L’organisation pro-européenne la plus efficace du moment au Royaume-Uni est la Confédération de l’industrie britannique, qui a fait un intéressant calcul: être membre de l’Union revient à 3000 livres sterling par foyer. C’est bien plus facile de tomber amoureux du concept de 3000 livres.
Deux autres aspects économiques doivent être mis en valeur: l’innovation et l’efficacité. Les anti-européens s’acharnent sur la bureaucratie bruxelloise qui bloquerait l’innovation. C’est vrai que certaines normes sont inutiles et doivent être abolies. Mais, en général, les normes européennes sont bonnes pour l’innovation. L’Allemagne et la Suède, qui appliquent davantage les règles que d’autres pays d’Europe, sont les Etats membres les plus innovants. Sur les produits chimiques, les véhicules et les produits électriques, les normes de l’UE ont conduit à davantage d’innovation.
L’efficacité énergétique est un thème qui relie clairement l’économie et l’énergie. L’Europe emploie son énergie plus efficacement que les Etats-Unis, mais pas autant qu’il est possible et souhaitable. Tout le continent devrait suivre en cela le Danemark, qui a modernisé ses bâtiments et ses usines et a agrandi ses réseaux de chaleur à distance. L’efficacité énergétique a aussi pour vertu de réduire les gaz à effet de serre. La lutte contre le changement climatique doit figurer au cœur du nouveau récit européen. Comme l’a souligné la directrice du FMI, Christine Lagarde, «le changement climatique est de loin la plus grande menace économique du XXIe siècle». Nous devons donc utiliser toutes les sources d’énergie propre: renouvelables, confinement et stockage de dioxyde de carbone, et l’énergie nucléaire.
Le changement climatique menace aussi la paix, les ministres de la Défense le reconnaissent peu à peu. L’Union européenne a de bons états de service en ce qui concerne l’aide au développement. Cette aide devrait être utilisée pour promouvoir l’énergie propre. Mais la dimension pacifique peut aller bien plus loin que le changement climatique. La perspective de guerres en Europe n’est pas impensable. L’Ukraine est en Europe, même si elle est en dehors de l’UE. C’était bien le même cas de figure pour la Yougoslavie. Or le fait que l’Irlande du Nord et le Pays basque se trouvent dans l’Union européenne a contribué à mettre un terme au terrorisme. L’intégration européenne a aidé à l’avènement de la paix et de la prospérité sur presque tout le continent. A présent, il est temps de finir le travail.