L’audace de la zone euro et le FMI
LE CERCLE. (par Simon Tilford) - Les décideurs et les hommes politiques de la zone euro ne doutent de rien : ils ont contribué leur part pour soutenir les membres de l’union monétaire en difficulté en accroissant le montant de son fonds d’urgence, le Mécanisme européen de stabilité (MES).
LONDRES – Il est temps maintenant pour le reste du monde – c’est-à-dire le Fonds Monétaire International – de réagir et de rajouter au pot, et les ministres européens des Finances font valoir leur cause auprès du FMI et de la Banque Mondiale, actuellement en réunion à Washington.
En d’autres termes, les responsables européens considèrent qu’il est normal que le FMI soutienne la zone euro, comme s’il s’agissait là d’une forme de devoir de la part du reste du monde. En réalité, même si les gouvernements de la zone euro parvenaient à se mettre d’accord sur une augmentation bien plus importante du MSE, d’impérieuses raisons justifient que le FMI s’abstienne d’offrir un soutien supplémentaire.
Les dirigeants européens ne parviennent pas à se décider sur la nature de la zone euro, entre fédération comparable à celle des Etats-Unis, ou groupe d’états indépendants. Ils comparent souvent favorablement la zone euro à d’autres économies développées.
Ils prétendent que le déficit budgétaire de l’ensemble cumulé des membres de la zone euro est inférieur à celui des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, et que le niveau de dette publique est similaire. Contrairement aux Etats-Unis et à la Grande Bretagne, la zone euro a un excédent de compte courant global (elle vit, comme aiment à le dire les décideurs politiques, à la hauteur de ses moyens). Et ils sont particulièrement fiers du rôle grandissant de l’euro en tant que monnaie de réserve internationale, autant qu’ils sont résolus à faire tout ce qui sera dans leur pouvoir pour défendre l’intégrité de la monnaie de l’union.
Pourtant, ces mêmes décisionnaires estiment que le reste du monde devrait voler au secours de la zone euro. Lorsque cela les arrange, l’euro n’est plus cette monnaie d’une économie très prospère et intégrée, mais une monnaie partagée par un ensemble de pays créanciers et débiteurs souverains, et le FMI a donc la responsabilité de soutenir les membres débiteurs.
C’est, pour le moins, une opinion bien particulière que celle-la. Imaginons que le gouvernement fédéral américain décide de ne plus soutenir le Mississipi et d’exiger du FMI qu’il soutienne cet état pauvre du sud. Le reste du monde – les gouvernements de la zone euro en tête – leur tournerait le dos, et à raison. De même, on n’attend pas du FMI qu’il vienne en aide à l’Inde – dont le PIB par habitant est inférieur à un dixième de celui de la zone euro – pour financer les états du Bihar et de l’Uttar Pradesh, frappés par la pauvreté.
La zone euro veut gagner sur les deux tableaux. Ses débiteurs et ses créanciers sont tous membres de la même union monétaire riche, dont les excédents de compte courant avec le reste du monde reflètent sa qualité d’exportateur net de capitaux (c’est-à-dire que l’épargne intérieure excède les investissements intérieurs). En outre, la stratégie de la zone euro pour gérer la crise repose implicitement sur un excédent croissant : les états membres dont le compte courant est déficitaire sont sous pression pour résorber cette situation, tandis que les pays créanciers ne sont aucunement forcés de réduire leur excédent. Donc, une région qui opte essentiellement pour une stratégie mercantiliste voudrait aujourd’hui que le reste du monde la finance.
De nombreux dirigeants européens estiment que le reste du monde doit sauver la zone euro parce que l’union monétaire n’est qu’un simple spectateur. Malgré sa bonne gestion et le fait qu’elle est fondamentalement plus stable que la plupart des autres économies, les marchés (ou « spéculateurs ») empêchent les membres de la zone euro en difficulté de parvenir aux nécessaires ajustements. La zone euro mérite donc d’être protégée des forces internationales qui veulent la détruire.
Cette logique met en évidence le problème fondamental : la zone euro est constitutionnellement incomplète, et ses décideurs politiques continuent d’en imputer le blâme aux investisseurs. Dans chaque union monétaire, il y a des régions créditrices et des régions débitrices. De même qu’il est de la responsabilité des régions créditrices dans d’autres unions monétaires dans le monde de soutenir les régions débitrices (ce qu’elles font au travers de différents moyens), il est du ressort des régions créditrices de la zone euro de soutenir la solvabilité de ses régions débitrices. Cela requière une mutualisation de la dette, des transferts budgétaires entre les états membres, et bien sûr, des institutions fédérales pour lui conférer toute cette légitimité.
Une deuxième raison donnée par les décideurs politiques de la zone euro pour justifier leur demande de soutien supplémentaire au FMI est fondamentalement une forme de chantage : les conséquences globales d’une autre crise de la zone euro pourraient être si graves que le FMI n’a d’autre choix que de faire tout ce qui est en son pouvoir pour l’éviter. Les pays bien plus pauvres, et ceux qui sont régulièrement critiqués par les décideurs politiques de la zone euro pour leur endettement (comme les Etats-Unis et la Grande Bretagne), devraient donc apporter leur soutien à un riche créancier pour éviter qu’il ne cause des dommages incalculables sur l’économie globale. Cela se résume à faire une offre au reste du monde qu’il ne peut refuser.
Le reste du monde n’a aucune responsabilité morale de soutien à la zone euro, et il devrait résister aux pressions des dirigeants européens pour l’extorquer, ce qui reviendrait à un soutien voilé à ses pays créanciers. Cela constituerait un usage injustifié des ressources du FMI, et confirmerait les soupçons des économies émergeantes sur le fait que le FMI est asservi aux intérêts occidentaux.
Le FMI devrait se cantonner à soutenir les pays ayant des problèmes temporaires de financement extérieurs ; une région créditrice riche qui refuse de résoudre ses contradictions institutionnelles ne mérite pas que l’on se penche sur son cas. Si les gouvernements de la zone euro refusent de concevoir les institutions fédérales nécessaires à la stabilisation de la zone euro, ils devraient soit se charger de réunir un fond de secours par leurs propres moyens, soit admettre que la monnaie unique est inexploitable dans sa forme actuelle.