Europe-Amérique: un dialogue possible malgré les divergences
Sur l'Irak en particulier, la discussion peut reprendre, mais les divergences subsistent.
Donald Rumsfeld parti, les fractures causées en Europe par le conflit irakien vont-elles perdurer? Et le dialogue transatlantique va-t-il se normaliser? Les réponses de Katinka Barysch, économiste en chef du «Centre for European Reform» de Londres.
Le Temps: Le Pentagone sans Donald Rumsfeld sera-t-il, pour l'Union européenne, un interlocuteur différent?
Katinka Barysch: L'atmosphère va changer, très certainement. Pour beaucoup de dirigeants européens, Donald Rumsfeld était un épouvantail. Il incarnait l'Amérique arrogante et unilatérale avec laquelle il était impossible de s'entendre. Il était aussi, bien sûr, perçu comme un diviseur, surtout préoccupé de séduire les nouveaux pays membres désireux d'être au plus vite intégrés à l'OTAN et de bénéficier de la protection militaire américaine. Sa vision, comme sa manière d'agir, était une épine plantée dans le flan politique et stratégique de l'Union européenne.
Cette fracture entre la vieille Europe, moins atlantiste, et les nouveaux membres de l'Union, davantage alignés sur Washington, est-elle encore pertinente?
Non. Cette division a été exacerbée par la décision des Etats-Unis d'attaquer l'Irak. Elle a été, au fond, largement produite par le choc des personnalités et des visions entre d'un côté, George Bush, Donald Rumsfeld et leur allié Tony Blair, et de l'autre Jacques Chirac et Gerhard Schröder. Or aujourd'hui, la donne est différente. La question n'est plus d'envahir ou non l' Irak. Il s'agit de gérer le dossier irakien, empoisonné pour les Etats-Unis comme pour l'Europe. Le départ du pouvoir de Schröder a aussi modifié les choses. Depuis son arrivée à la Chancellerie, Angela Merkel a ramené la diplomatie allemande sur sa position classique: à la fois noyau de l'Alliance atlantique et partenaire privilégié de la France. Sans parler des reculades successives de Tony Blair, confronté à une opinion publique britannique majoritairement anti-guerre en Irak. Comme dans le reste de l'Europe.
Vous le dites bien: l'abcès irakien ne va pas disparaître avec le départ de Donald Rumsfeld. Que vont faire les Européens?
La vraie question est plutôt: que peuvent-ils faire? En matière d'opérations extérieures, les armées des principaux pays de l'Union ont déjà toutes presque dépassé leurs capacités avec les Balkans, l'Afghanistan, le Liban... Et le départ de Rumsfeld ne va rien changer au fait que personne, en Europe, ne veut aujourd'hui envoyer de troupes au secours du gouvernement de Bagdad. L'Union européenne aurait en plus tort de se réjouir: son dialogue avec Washington sur l'Irak va peut-être se trouver facilité, mais la question de son éventuelle contribution - financière, politique - risque d'être davantage posée. Or l'Europe a plus envie d'être écoutée que de mettre la main à la poche.
Le nouveau Congrès démocrate s'annonce comme un partenaire plus ouvert?
Oui, surtout en ce qui concerne les discussions au sein des instances multilatérales comme l'ONU. Mais l'Europe aurait tort de rêver: le fossé qui la sépare des Etats-Unis n'est pas que le produit du duo Bush-Rumsfeld. Il est aussi le résultat de priorités différentes, et d'analyses différentes du monde. Je ne crois pas que la victoire démocrate aux législatives va ramener les Etats-Unis et le Vieux Continent épaule contre épaule, comme au bon temps de la Guerre froide. Des rivalités existent de part et d'autre de l'Atlantique. Et certains dossiers, comme les négociations commerciales, sont même dans l'impasse.
Justement. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a appelé de ses voeux une relance du processus de Doha au sein de l'OMC. Les élus démocrates saisiront-ils cette balle au bond?
J'en doute fort. Il est au contraire probable que le nouveau Congrès s'affirmera comme plus protectionniste, et plus sourcilleux sur la défense des intérêts commerciaux américains. La base démocrate n'est pas favorable au libre-échange à tous crins.