Un sale coup pour Blair

Un sale coup pour Blair

Opinion piece (L'Express)
Daniel Keohane
30 May 2005

Comment réagit-on outre-Manche au non du peuple français?

Beaucoup de Britanniques opposés à la Constitution s'en réjouissent! Chez les conservateurs, dans la presse de droite europhobe, même au sein du Labour, où tout un courant ne veut pas de ce traité. Pour Tony Blair et le gouvernement britannique, c'est au contraire une mauvaise nouvelle. Car, à leurs yeux, c'est un très bon traité: aucun des intérêts vitaux du pays n'est menacé. Les impôts, la défense, la politique sociale échappent à la règle de la majorité. Le royaume garde ses prérogatives dans ces domaines. Les innovations que constituent la création d'un service diplomatique et d'un ministre européen des Affaires étrangères - même si l'intitulé de ce poste a fait tiquer ici - étaient souhaitées par Londres. Ce non français est un sale coup pour Tony Blair, parce que le Premier ministre voulait que les Britanniques se prononcent par référendum. Il est le chef de gouvernement le plus pro-européen que le royaume ait connu et, après avoir remporté trois élections générales, il pense désormais à sa marque dans l'Histoire, ce qui passe par le projet européen.

Qu'advient-il de la Constitution?

Pour moi, le traité est mort et il n'y aura pas de référendum britannique. Officiellement, le processus de ratification doit continuer dans les autres pays. Cela ne me semble pas réaliste. La question est de savoir ce que l'on peut sauver des mécanismes de prise de décision et de vote qui étaient destinés à rendre plus efficace le fonctionnement de l'Union à 25, 27, 28. La mise en place du service diplomatique pourrait aussi être sauvée; pour le ministre européen des Affaires étrangères, ce sera plus compliqué pour des raisons juridiques. Ce qui sera perdu, ce sont les progrès en matière de justice et de politique commune sur l'immigration, les pouvoirs accrus du Parlement; la Charte, enfin, ne serait plus intégrée.

C'est le Royaume-Uni qui prend la présidence européenne le 1er juillet…

Ce sera à Tony Blair de recoller les morceaux et de sauver ce qui peut l'être. C'est à lui de veiller à ce que l'Europe continue à fonctionner et n'éclate pas. Si Jacques Chirac interprète le résultat du traité comme un mandat pour pousser vers une Europe plus sociale, il n'aura guère de soutien au sein de l'Union. Il ne comptait déjà pas beaucoup d'alliés. Sa crédibilité est désormais sérieusement compromise.
Daniel Keohane was a research fellow at the Centre for European Reform (2001-2006)