"Son problème, c'est l'Allemagne"
Le Britannique Charles Grant, directeur du Centre pour la réforme européenne, à Londres, analyse les chances du président français de sortir l'Europe de sa crise institutionnelle.
Jacques Chirac est-il crédible quand il propose de relancer l'Europe ?
Si cela veut dire relancer la Constitution européenne, il n'est pas crédible. Mais personne ne l'est. Pour moi, la Constitution européenne est morte ! Je ne vois ni en France ni aux Pays-Bas un homme ou une femme politique majeurs prêts à tenir un second référendum sur ce texte. Or l'unanimité est requise pour changer les traités...
L'Europe peut-elle sortir de l'impasse en reprenant quelques dispositions innovatrices de la Constitution ?
Tout cherry-picking («picorement») est certainement prématuré, à ce stade. A moyen terme, par exemple avec l'adhésion de la Croatie, on pourra réfléchir à certains changements des traités européens. Il serait notamment souhaitable de sauver le principe du vote à la double majorité (des Etats et des populations) ou l'idée d'un grand service diplomatique commun. Mais aucun consensus ne me paraît possible actuellement en faveur de cette solution. Il y a d'un côté le camp des «fédéralistes», qui, Allemagne en tête, veulent sauver toute la Constitution et donc refusent son dépeçage ; de l'autre côté, les eurosceptiques, comme les Scandinaves, les Britanniques et pas mal de Français, qui refusent de parler de la Constitution pour le moment.
Et cette idée de «groupes pionniers», chère à Jacques Chirac ?
Ce serait une bonne idée de construire une avant-garde autour de certains pays. Dans une Union à 25, il faudra forcément plus de diversité, comme cela a commencé à se faire avec l'euro, la défense commune, Schengen, la troïka sur l'Iran, ou les initiatives prises par la Pologne et la Lituanie sur l'Ukraine. Reste qu'il serait bizarre pour la France de mener cette avant-garde quand c'est elle qui a fait échouer la Constitution européenne. Le problème qu'a en outre Jacques Chirac, c'est l'Allemagne : du temps de Gerhard Schröder, peut-être eût-il été possible que l'Allemagne suive la France dans un noyau dur. Avec la nouvelle chancelière, Angela Merkel, qui est en train de retisser les liens avec Londres et Varsovie, c'est impossible. Le socle le plus logique de ce noyau dur serait l'eurogroupe. Encore faudrait-il que Français et Allemands partagent la même philosophie économique, ce qui est loin d'être le cas.